mercredi 21 janvier 2015

On est tous des cons





8 jours que le drame Charlie Hebdo a ébranlé la terre. 8 jours que je n’arrive pas à avoir une pensée claire à part me sentir répéter ridiculement, « c’est pas possible !?! ». Dès que j’essaie d’aligner deux phrases, je sens que le poids de mes mots n’est que nuages légers virevoltant au-dessus de l’ampleur des dégâts. 8 jours que je passe frénétiquement à allumer la télé, regarder les news sur mon smartphone et me repasser en boucle les témoignages que je connais par cœur.
3 ans que j’avais déconnecté de la presse, à part le journal « Vigousse », rendez-vous hebdomadaire avec mon mari, que j’ai fini également par acheter mais plus lire car sans lire les news, je n’arrivais plus à comprendre les gags. Et en 8 jours je me retrouve au cœur de la presse, au cœur de la prise d’otage, au cœur de tout ce que je ne veux pas voir, j’ai mis des œillères pour éviter de souffrir de mon impuissance, sagesse ou lâcheté, je n’ai jamais su le dire.
8 jours que j’essaie de me dire « et si je dessinais ? », pas un coup de crayon vient réveiller mon cerveau ramolli par 2 cons qui ont tiré sur mes amis humains et dessinateurs. Je dis amis, car j’ai toujours dit « amis humains », je ne fais partie de rien, je suis athée, je n’appartiens à personne, je ne me sens pas patriotique, je ne me sens pas polonaise, je fais partie des humains, c’est tout. Une petite fourmi parmi des autres fourmis qui essaie de se démerder comme elle peut avec ses emmerdes, ses joies, ses peines…
8 jours où tout y a passé dans ma tête. L’envie de monter à Paris rejoindre l’équipe de Charlie, l’envie 1000x de prendre Pelloux dans mes bras, l’envie de dire à Luz que même si il a eu du mal à chier sa une, elle est drôle et touchante à la fois. (Joli caca), et la peur a pris le dessus un moment, c’était vendredi, et elle est retombée de suite quand j’ai refusé d’être conduite par cette putain de peur qui crée tant de dégâts. Peur de l’autre, peur du drame, peur de la police, peur de mourir, peur de naître, peur de vivre, … le contraire de l’amour c’est la peur. J’ai insulté les chaînes françaises qui unissent le peuple dans la peur en ne montrant que des femmes, des mères, en larmes devant les drames des otages, il y avait 54x le mot peur dans chaque témoignage. STOP. Je n’ai pas peur. J’ai aussi eu envie de partir dans une Yourte très très loin dans une forêt sans ami humain dans les 300km à la ronde. Partir pour fuir ce que ce putain de 7 janvier avait réveillé en moi. Plus voir. Plus pleurer. Alors pendant cette semaine, j’ai bouffé de la télé, j’ai mangé 8 ragusa avec les noisettes en quinconce, et 8 snickers avec les cacahuètes concassées, et en ce matin du 16 janvier, jour de l’enterrement de Charb, je me suis dit, on est tous des cons. Et pour la première fois, j’avais l’impression d’avoir dit un truc intelligent.
On est tous des cons, de vivre qu’à demi, alors qu’un dessin peut potentiellement nous tuer, je ne parle même pas de la clope ou autre maladie dégénérescente. On est tous des cons de croire qu’on a raison, raison de quoi ? On est tous des cons de vouloir que notre voisin soit le même que nous mais un peu en-dessous quand même et avec quelques problèmes en plus. On est tous des cons de ne pas oser s’opposer à quoique ce soit de peur de perdre l’autre, son job, son chien, sa rolex, sa carte cumulus. On est tous des cons de vouloir dire aux autres milles conseils plus foireux les uns que les autres, seulement parce que l’on croit que nous détenons la vérité de la vie vraie. On est tous des cons de ne pas se réjouir du bonheur des autres. On est tous des cons de vouloir jouer à la guerre pour se détendre. On est tous des cons de se croire au-dessus de certains et pas aussi bien que d’autre. On est tous des cons, de dire à nos enfants « sautes pas dans la gouille, tu vas être mouillé », on est tous des cons de croire que si on paie bien nos impôts, on se fait un joli compte épargne, et on est au régime depuis 36 ans, on gagnera nos 70 vierges. On est tous des cons, de vouloir faire du fric sur tout et tout le temps (cf coque de potable « Je suis Charlie », mais qui a eu l’idée vulgaire de faire cela ????). On est tous des cons avec nos crèmes antiride, nos push up, nos faux ongles, faux cheveux, fausse barbe et faux cul. On est tous des cons de s’être pris une minute au sérieux. Alors ce soir, 16 janvier 2015, mes amis humains, je nous trouve bien cons, vous l’aurez compris, mais mon éternel optimisme très caché me donne juste envie de croire que nous sommes encore capables de faire des mobilisations aussi fortes pour toutes les atrocités qui ont lieu dans le monde en ce moment. Je nous espère encore un peu. Laissez deux secondes les soldes de janvier, les clés de votre 4x4 (ou du moins éteignez le moteur à l’arrêt, merci), et regardez les nuages comme ils sont beaux, ils sont plein de dessins et même si c’est des bites… c’est ça la liberté !
On est tous des cons, et moi la première.

16 janvier 2015